Sensah RX10 : les transmissions chinoises peuvent-elle faire de l'ombre à Shimano et SRAM ?
Shimano, SRAM, mais aussi Campagnolo : ces noms sont bien connus dans le monde du vélo, pour fournir les transmissions qui ont longtemps régné sans partage dans le domaine du vélo. Gage de qualité et d'innovation, ces trois fabricants ont toujours lutté entre eux pour faire la différence et se sont largement imposés comme des références.
Il est néanmoins possible de trouver des alternatives bien moins chères, mais sont-elles pour autant crédibles ? C'est à cette question que nous allons tenter de répondre avec un exemple : celui du Sensah RX10 pour VTT.
La concurrence venue d'Asie continentale
Quand on mentionne le sujet des transmissions bon marché, on pense évidemment aux marques taïwanaises comme Microshift ou Sunrace, déjà présentes sur le sol français. La première, en particulier, commence à se faire une réelle place dans la mesure où elle est parvenue à apparaître de plus en plus souvent sur les vélos de la marque Nakamura, vendue par Intersport, et surtout sur les modèles de Décathlon, qu'il s'agisse des VTT Rockrider, des VTC Riverside ou des vélos de route Triban.
Dans le catalogue lillois, il n'est même plus faux d'affirmer que Shimano et SRAM sont réservées aux modèles destinés aux utilisateurs exigeants, notamment les gammes très sportives. En dessous, on trouve l'éventail des propositions de Microshift : elles furent d'abord rebadgées B'Twin, ont repris leur nom d'origine, comme si le taïwanais avait fini par faire accepter sa légitimité en tant que marque de composants.
Il faut dire qu'a une époque, mettre en avant la marque de la transmission pouvait être vu comme un gage de sérieux pour un constructeur cycle, et lorsque le vélo ne portait pas lui-même un grand nom du cycle, il lui fallait mettre en avant les noms de Shimano, SRAM ou Campagnolo, quitte à utiliser s'il le faut les composants les plus basiques et les moins chers. Mais aujourd'hui, la clientèle grand public est devenue moins regardante sur l'origine de la transmission et les marques de grande diffusion comme Nakamura pour Intersport ou Décathlon peuvent désormais se permettre d'assumer pleinement l'emploi de dérailleurs et autres commandes de vitesses issus de marques alternatives.
C'est ainsi que les mono-plateaux Microshift à 9 ou 10 vitesses ont pu faire leur petit bout de chemin dans les enseignes de grande surface spécialisées.
La présence de marques low-cost asiatiques sur le sol européen n'est donc pas inédite. Mais ce qui est nouveau, c'est que des sites de vente en ligne permettent désormais d'accéder à des produits qui n'étaient pas distribués ici, et cela permet de se rendre compte qu'il est possible de trouver plus exotiques encore, avec des marques chinoises comme L-Twoo ou Sensah, dont le modèle RX10 pour VTT est testé ici.
Sensah, le challenger low-cost
Le nom de Sensah n'est donc très certainement connu que des initiés. Très peu d'informations circulent à son sujet, et il faut se tourner vers ces fameux sites spécialisés dans la vente d'articles directement venus de Chine pour en trouver des traces.
Selon des informations qu'on n'a pas encore réussi à vérifier, Sensah serait une marque fondée par des anciens de chez SRAM. Cela expliquerait le fait que ses dérailleurs adoptent le fameux ratio 1:1 cher à l'américain.
Pour autant, elle semble chercher à s'inspirer davantage du design de Shimano, puisque le dessin du dérailleur arrière rappelle davantage les productions japonaises, tandis que la manette de vitesse adopte une ergonomie calquée sur le Rapidfire (un levier à pousser au pouce pour tirer le câble et une gâchette à manier à l'index pour le relâcher).
Compte tenu du prix bas, de l'origine, et du côté "copie de" offerts par ces composants Sensah, on n'attendait évidemment pas des merveilles. Et il faut dire qu'en terme de qualité perçue, on n'a pas été déçu, puisque c'est effectivement aussi pauvre que ce qu'on attendait.
Dans la gamme Sensah, le RX10 semble se présenter comme un concurrent du Shimano Deore M4100 : il propose 10 vitesses, une manette à l'ergonomie similaire, et une option de blocage de la chape empruntant son principe au Shadow+ du japonais (option non retenue dans l'exemplaire utilisé pour ce test). Mais visuellement, il n'y a pas de match.
Car d'abord, le dérailleur arrière présente une finition très loin des standards de Shimano. Sa chape est faite d'un acier qui ne prend pas la même d'opter pour un revêtement qui inspirerait une certaine qualité de fabrication, tandis que le corps, en plastique, fait réellement "bas de gamme". Même un modèle Altus paraît très largement bien plus flatteur à l'oeil.
Le plus perturbant reste les vis de réglages : les deux dédiées aux butées et celle pour la tension du dérailleur ont un pas desserré, rappelant les vis pointues qu'on trouve notamment sur le montage d'appareils électroniques. Ce n'est pas très rassurant, et c'est surtout moins qualitatif que les vis à pas serré utilisées chez Shimano ou SRAM.
En actionnant le dérailleur manuellement à vide, on peut tout de même noter que la tension est plutôt bonne.
La manette souffre également d'un problème de finition : fait d'un imposant plastique, il n'inspire ni qualité ni robustesse. Il donne néanmoins l'impression d'être capable de faire son travail, et la manipulation est plutôt agréable.
Très inspirée de Shimano, l'ergonomie est similaire aux Rapidfire Plus 2 Way-release japonais : le câble se tire par un levier actionné au pouce, laissant un clic doux, et il se détend avec une gâchette qu'on peut soit pousser avec le pouce, soit tirer avec l'index.
Il est possible de descendre 5 vitesses en un seul actionnement du levier... ce qui est beaucoup ! On peut donc passer du plus petit au plus grand pignon en deux coups de pouce ! En revanche, seule une vitesse peut être montée en actionnant la gâchette.
Pour autant, il faut néanmoins mentionner que Sensah, tout comme L-Twoo, ne se contente pas seulement de copier sans scrupule Shimano et SRAM : ils osent également faire preuve d'audace en proposant des groupes VTT à 13 vitesses, là où les manufacturiers japonais et américains s'en contentent pour l'instant de 12.
En revanche, aucune des deux marques chinoise ne produit de cassette ou de chaîne, contrairement aux taïwanaises Microshift et Sunrace. Dans le cas de la transmission 10 vitesses ici présente, le dérailleur et la manette étaient vendues en bundle avec une cassette de la marque Sunshine et une chaîne siglée SUMC, deux noms totalement inconnus dans nos contrées. Visuellement, ces deux composants ne présentent guère de particularités et présentent plutôt bien face aux équivalents Shimano et SRAM, avec lesquels Sensah et L-Twoo restent compatibles. Néanmoins, on tique quelque peu sur le manque de sérieux dans la fabrication de la cassette : censée être de marque "Sunshine", elle affiche le nom de "Sunahine", à se demander si on n'est pas tombé sur la contrefaçon d'un produit qui, pourtant, s'inspire déjà très fortement de Shimano.
On note au passage que pour ce qui est des transmissions 13 vitesses, il n'y a pas d'autre choix que de se tourner vers les fabricants chinois, qui ne proposent aucune solution Micro-Spline ou XD, des technologies propriétaires : les cassettes à 13 pignons, de marque Sugek notamment, sont compatibles avec des corps de roue-libre spécifiques, très inspirés des corps HG à 9-10 vitesses, et certains témoignages font état de difficultés à les monter.
Evidemment, l'atout-maître de ces mini-groupes chinois n'est pas dans la qualité de finition, mais dans le prix : l'ensemble dérailleur + manette Sensah RX10 peut être trouvé à moins de 35€... soit à peine le prix d'un dérailleur Deore seul.
Le fait d'ajouter une cassette et une chaîne fait grimper la note à 65€ seulement, contre 108 si on prend une transmission arrière complète dans le groupe Deore M4100.
Le cas du pédalier
Sensah ne propose pas de pédalier, il faut donc en chercher un dans une autre marque chinoise, si on veut être complet. Evidemment, ce n'est pas ce qui manque, et on s'y perd aisément.
Le choix se porte sur un modèle de marque Raceface, dont le modèle est nommé XT... et n'y allons pas par quatre chemin, c'est évidemment bien plus qu'un simple allusion à un modèle de Shimano. C'est à une copie à peine voilée du modèle Deore XT M8000 que nous sommes confrontés là, proposée à 45€ boîtier de pédalier compris.
Sur le terrain
C'est un VTC Riverside 500 qui servira de monture pour tester cette transmission, même si cette dernière est prévue pour un usage VTT. A vrai dire, c'est le seul vélo qui était disponible pour un test de transmission (on manque de moyens, ici...), mais on va tout de même faire en sorte de réaliser ces essais en poussant les composants dans leurs retranchements.
Le test se réalise sur une cinquantaine de kilomètres répartis en plusieurs utilisations : sur la route, sur des chemins faiblement cabossés, et sur quelques sauts de trottoirs, majoritairement sur des déplacements et moins sur des balades. Comprendre : aucune minute à perdre, il fallait aller le vite possible.
La première impression est mitigée : le contact initial se fait, évidement, aux doigts, et il faut admettre que le levier de tirage du câble (permettant de passer à un pignon plus grand) est plutôt dure à pousser. La tension du dérailleur semblait bonne, et cela confirme qu'elle l'est assurément... mais cela se fait au prix d'une aisance moins grande à changer les rapports. Comme, en plus, le plastique est plutôt rugueux, la manipulation n'est pas vraiment agréable et la manette frotte trop fortement sur le pouce. On ajoute également qu'il faudra tendre assez fort ce dernier, en raison du fait que le levier est placé un peu trop à gauche, ce qui rend la manipulation encore moins aisée.
La gâchette de relâchement (permettant de passer à un pignon plus petit) souffre moins de problèmes de dureté. Au contraire, il est facile de la manipuler, et le clic qu'elle produit est sec, agréable, et inspire une certaine qualité de fabrication. Comme dit plus haut, elle reprend le principe du 2-Way Release de Shimano, en étant manipulable indifféremment à la poussée par le pouce et au tirage par l'index, et cela fonctionne plutôt bien.
Le passage de vitesse est précis est efficace : la chaîne s'engage sur chaque pignon rapidement et sans le moindre saut, aussi bien à la montée qu'à la descente. Le levier permet de passer d'un coup à 5 pignons plus grands, et le fait sans problème. La gâchette, elle, ne permet que le passage vers un pignon plus petit à la fois, et si elle le fait avec une certain rugosité, cela demeure quand même assez doux et, surtout, très rapide.
Très globalement, cette transmission semble efficace. Mais à l'usage, il n'est absolument pas rare de rencontrer quelques ratés. Lors du relâchement d'une vitesse, il arrive que la chaîne passe sur deux pignons plus petits avant de remonter sur le bon. Et sur quelques passages de trottoir, la chaîne peut dérailler, ce qui est embêtant même si le dérailleur la remet ensuite immédiatement en place.
De fait, cet ensemble Sensah pose des réelles questions de précision et d'efficacité sur des pratiques plus engagées, et notamment en VTT, pour lequel il est destiné.
En conclusion
Peut-on dire que Shimano, SRAM et Campagnolo ont du souci à se faire face à Sensah et L-Twoo d'un côté, et surtout Microshift et Sunrace de l'autre ? La réponse peut sembler évidente, mais plusieurs choses permettent quand même de la nuancer.
D'un côté, les qualités des composants siglés Sensah, comme ici, ou Microshift par ailleurs, sont très en retrait par rapport aux ténors du marché. La finition et l'ergonomie sont à mille lieux des standards historiques, et clairement, le prix bas se justifie dans le mauvais sens du terme.
En outre, il est indéniable que, si l'efficacité et la précision du passage sont des arguments de poids, l'instabilité de la chaîne sur les pignons rend très difficile une utilisation engagée off-road. Et même sans cela, le simple fait de sentir la chaîne changer de pignon sans action de la part du pilote rend la pratique un peu déconcertante.
Pour toutes ces raisons, les pratiquants plus ou moins sportifs ne pourront que préférer les valeurs sûres que sont Shimano et Sram, même en restant sur leurs entrées de gamme : l'Altus, par exemple, présente certes un pignon en moins, mais demeure bien plus fiable dans son fonctionnement.
Mais de l'autre, le public visé par ces transmissions low-cost n'est pas exactement le même : elle s'adresseront davantage à des utilisateurs peu regardants sur la qualité des composants et/ou un peu moins connaisseurs, et pour qui la priorité sera d'avoir un fonctionnement un minimum correct pour le prix le plus bas. Et lorsqu'on ne pousse pas ces composants dans leur retranchement, il faut bien admettre qu'ils remplissent leur fonction sans problème.
A une époque où, désormais, le nom de Shimano a appris à cohabiter avec des concurrents et ne sert plus de garantie aux pratiquants les moins assidus, les petits nouveaux ont la possibilité de se faire une place en proposant, à tarifs identiques, certes une finition en retrait, mais aussi et surtout des prestations en plus.
Cela est particulièrement notable sur les premières montes, à plus forte raison chez les grandes surfaces spécialisées, qui diffusent leurs vélos à une clientèle peu initiée en veillant à assurer un rapport qualité/prestation/prix des plus favorables. Il y a quelques années, les dérailleurs Shimano et Sram étaient incontournables sur les Rockider, Nakamura et autres Scrapper, même en entrée de gamme.
Mais depuis peu, ces marques ont bien compris que les acheteurs des niveaux de gamme inférieurs seront plus sensibles au nombres de vitesses qu'à la marque du dérailleur. C'est ce qui explique le fait que Microshift se retrouve désormais à équiper sans se cacher les Rockrider, Riverside et Triban d'entrée et de milieu de gamme chez Décathlon, réservant les équipementiers historiques aux gammes supérieures.
Inversement, les grands constructeurs, qui priorisent davantage la qualité des composants, continuent de faire confiance à Shimano, Sram et Campagnolo, même sur l'entrée de gamme. Mais pour pouvoir tirer les prix vers le bas, ils optent pour des transmissions comportant moins de vitesses, et certaines marquent proposent toujours, sur leurs VTT, l'antique groupe Altus M310 à 8 vitesses, quand ils ne les équipent carrément pas d'un Tourney à 7 vitesses, le tout pour le prix d'un Rockrider à transmission Microshit 9v.
Evidemment, les GT, Scott et autre Kona mettent, dans ce cas, l'accent sur la qualité de leurs cadres et de leurs montages, et ils misent plus dessus que sur une fiche technique présentant des caractéristiques flatteuses.
Mais les vélos de grandes surfaces spécialisées représentent un tel volume de vente que les taïwanais de Microshift sont très certainement promis à une diffusion grandissante, donnant encore plus de crédit aux autres alternatives. Sensah, tout comme L-Twoo d'ailleurs, semble davantage se concentrer sur son marché national, en Chine. Mais qui sait si un constructeur occidental d'entrée de gamme ne va pas d'intéresser au RX10 ou aux autres gammes de l'équipementier ?
Tektro est d'ailleurs lui-même entré dans la course, lui qui est longtemps resté cantonné aux freins.
Au final, c'est surtout sur l'entrée de gamme et sur le public très large des utilisateurs occasionnels et/ou peu connaisseurs que Shimano, SRAM et Campagnolo auront à batailler le plus. Ils ont encore une énorme marge de manoeuvre sur le milieu et le haut de gamme, et il est quand même peu probable que ces marques soient réellement en danger face aux composants chinois et taïwanais. Néanmoins, il ne faut pas négliger le risque de voir les équipementiers devenir des noms élitistes, battus sur le plus gros du marché par des nouveaux venus low-cost, en particulier sur le marché du vélo à assistance électrique, en plein essor et qui aura bien besoin d'un coup de main pour offrir des modèles accessibles financièrement. Et on se rappellera que SRAM lui-même avait commencé comme alternative moins onéreuse de Shimano avant de devenir le fabricant innovant d'aujourd'hui.